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Le cinéaste

Repères biographiques

René Clément est né le 18 mars 1913, à Bordeaux. Son père, le décorateur Maurice Clément (1892-1933), qui aurait voulu devenir artiste peintre, était le petit-fils d’un photographe. La mère, Marguerite (née Bayle, 1889-1975), aura deux autres enfants, Colette (1925-1969) et Claude (1927-1996) qui sera l’assistant de René sur ses films jusqu’àGervaise.

Le futur cinéaste manifeste son goût pour l’image dès sa petite enfance. « À quatre ans, j’adorais déjà tout ce qui bougeait sur un mur, sur un écran. Pour me faire tenir tranquille, on organisait des projections. À neuf ans, je travaillais sur la pellicule, je faisais moi-même des perforations, et je dessinais à l’encre de Chine sur ces bouts de pellicule, classés en rectangle. En somme, j’étais moi aussi un précurseur du dessin animé. Seulement, voilà, un jour, j’ai failli mettre le feu à la maison, et cela interrompit ma carrière de futur Walt Disney », racontera-t-il1. Son père lui avait offert une lanterne magique ; après l’installation de la famille à Paris, où les Clément habitent rue Saint-Séverin, René hante le cinéma de la rue de la Huchette, où l’on pouvait voir des films même sans billet : la salle étant minuscule, l’appareil de projection était placé devant un miroir qui renvoyait l’image vers l’écran, et la porte restait ouverte par temps chaud, ce qui permettait de profiter de la séance depuis le trottoir.

À dix-huit ans, René Clément coréalise un dessin animé, César chez les Gaulois, avec son père. Cependant, ce dernier lui a fait entreprendre des études d’architecture aux Beaux-Arts, considérant le métier d’architecte comme plus sérieux que celui de cinéaste. Lorsque Maurice Clément meurt d’une crise cardiaque, René abandonne ses études et commence à travailler pour faire vivre sa mère et ses cadets. En même temps, il réalise des courts-métrages. La chance le favorise lorsqu’il se retrouve affecté au Service Cinématographique de l’Armée pour son service militaire. Il s’y forme à la prise de vues, et y rencontre Jean Le Herissey qui lui propose ensuite de l’accompagner, en tant qu’opérateur, en Tunisie, pour le documentaire Au seuil de l’Islam. Le producteur de ce film lui donnera la possibilité de réaliser La Bièvre, fille perdue. Parmi ses autres documentaires, Occitanie(1936) reçoit un prix à l’Exposition cinématographique de 1937. Clément poursuit sa carrière de documentariste en s’aventurant au Yémen avec l’archéologue Jules Barthou qui comptait y faire des découvertes importantes ; il n’en sera rien, mais L’Arabie interdite(1938), réalisé dans des conditions romanesques, restera le premier (et pour longtemps, le seul) film tourné dans ce pays.

Clément fera de nombreux courts-métrages jusqu’en 1942, dont Soigne ton gauche(1936), avec Jacques Tati, après avoir été assistant sur deux autres où Tati jouait2. S’étant liés d’amitié, ils cherchent ensemble des gags et auront plusieurs projets de cinéma, notamment Rugby, un scénario de moyen-métrage comique, qu’ils ont coécrit et qui subsiste dans les archives de Clément.

Mobilisé au début de la guerre, et démobilisé en août 1940, René Clément retrouve, par un concours de circonstances, Raymond Millet, l’un de ses producteurs. Ils se rendent à Nice où se sont réfugiés beaucoup de gens de cinéma, pour y chercher du travail. Clément sera figurant et assistant sur des films tournés aux Studios de la Victorine, notamment sur laVénus aveugled’Abel Gance qui avait vu et apprécié Occitanie, puis il entrera au CATJC3avec Henri Alekan, et y réalisera de nouveaux courts-métrages. Dans l’intervalle, il a épousé Bella Gourévitch (1900-1986) qu’il avait rencontrée chez des amis communs.

Son brillant documentaire, Ceux du rail(1942), le fera choisir, par le Comité de Libération du Cinéma – notamment grâce à Louis Daquin et Marc Maurette -, pour réaliserLa Bataille du rail(1946) qui lui vaudra entre autres le Grand prix à Cannes et un vaste succès international. Au même festival sont présentés La Belle et la Bêtede Cocteau, dont Clément est le consultant technique, et Le Père tranquilleoù il a le statut de « réalisateur technique ». Ses longs-métrages suivants, Les Mauditset Au-delà des grilles, l’imposeront comme le jeune cinéaste français le plus en vue, dont chaque film est traité comme un grand événement par la presse, et qui récolte les récompenses prestigieuses, Oscar compris. À cette époque, Clément est surnommé « le Rossellini français » par la critique italienne4. En France, il est particulièrement apprécié d’André Bazin qui suivra attentivement son travail jusqu’à sa mort prématurée.

Au début des années 1950, Clément s’éloigne de sa première manière associable au néoréalisme, tout en affirmant sa capacité de combiner l’originalité avec une perfection formelle sans faille. Il alterne les films où l’aspect novateur est frappant (Jeux interdits, qui lui vaudra son second Oscar, Monsieur Ripois) et les œuvres d’apparence plus proche de la tradition (Le Château de verre,Gervaise). Sa situation de réalisateur bien établi dans le métier, couvert de prix et jouissant d’un grand prestige international, contribue à en faire l’une des cibles de la Nouvelle Vague, même si, objectivement parlant, il n’est pas plus assimilable au « cinéma de papa » que Renoir, Becker ou Clouzot.

Sur le tournage deMonsieur Ripois, Clément s’est lié avec sa scripte, Johanna Harwood, qu’il épousera en 1987.

Dans les années 1955-1965, le cinéaste tourne plusieurs coproductions impliquant une participation américaine (Barrage contre le Pacifique,Le Jour et l’heure,Les Félins,Paris brûle-t-il ?), qui témoignent du fait que sa réputation internationale n’a fait que grandir. Il est désormais « le Hitchcock français » aux yeux d’Hollywood5. Après la superproduction Paris brûle-t-il ?, Clément revient à un cinéma plus intimiste et psychologique, basé sur des intrigues à suspense. Il y trouvera son dernier grand succès public, Le Passager de la pluie(1970). Ses trois films suivants marquent le déclin de sa carrière, dans la mesure où même le plus réussi d’entre eux, La Course du lièvre à travers les champs(1972), est assez mal reçu par la critique et par les spectateurs.

Après l’échec deLa Baby-sitter(1975), le cinéaste refuse plusieurs propositions qui ne lui conviennent pas, et travaille sur quelques projets dont aucun n’aboutit. En 1981, il coécrit avec Georges Conchon un scénario qui lui tient particulièrement à cœur, Le Secret des Dieux, qu’il manque de réaliser un an plus tard : ayant trouvé un producteur, il s’occupe de la distribution des rôles au moment où il a une crise cardiaque, en décembre 1982. Par la suite, Clément est obligé de chercher un autre producteur ; il persistera dans ses efforts pour monter ce projet au cours des six années suivantes6.

En 1984, il a reçu un César d’honneur pour toute sa carrière. En 1986, il est élu à l’Académie des Beaux-Arts7. En 1987, il est choisi, avec Bresson et Clouzot, pour représenter « les aînés » de Godard, Truffaut et Resnais dans la rétrospective French Film Series 1955-1965 au Musée de l’Art Moderne de New York8. En 1989, les organisateurs américains du premier Festival du film français de Sarasota lui rendent hommage. En 1983 et 1988, son œuvre a été aussi honorée à Tokyo, ce qui lui a donné l’occasion de rencontrer Kurosawa. Faute de pouvoir tourner, Clément assiste à de nombreux festivals en tant que membre de jury ou invité d’honneur.Par ailleurs, il s’adonne à son violon d’Ingres, la peinture, et passe beaucoup de temps à naviguer, jusqu’en 1985, sur son yawl, le Sally Mara(ainsi nommé avec l’autorisation de son ami Raymond Queneau).

René Clément est mort le 17 mars 1996 à Monte-Carlo. Il est enterré, selon ses souhaits, à Chabaten Borda, au pays basque, où il séjournait régulièrement depuis 1993.

Denitza Bantcheva

1Entretien avec Lucie Derain, in Les Dernières Nouvelles d’Algerdu 8/10/1946. À propos des expériences cinématographiques de Clément dans son enfance et son adolescence, voir aussi « Pour quoi Clément brûle-t-il ? », par Maria Craipeau,Pariscope, 10/11/1965.

2On demande une brute(1934) de Charles Barrois, et Gai dimanche(1935) de Jacques Berr. Au sujet de l’apport de Clément à ces films, cf. Jean-Philippe Guerand, Jacques Tati, Folio, 2007, pp. 50-51.

3Le Centre artistique et technique des jeunes du cinéma, organisme de formation, de recherche et de création, le prédécesseur de l’IDHEC et de la FEMIS.

4Cf. notamment Oggi, 21/7/1949, article d’Angelo Solmi surAu-delà des grilles ; le surnom figure dans la plupart des articles italiens sur Clément de cette période. De façon significative pour la persistance de cette association, beaucoup plus tard, le cinéaste a été choisi comme membre du jury du Prix Rossellini.

5C’est en ces termes que Clément est présenté dans le dossier de presse américain de La Maison sous les arbres ; la formule a commencé à se répandre en France et à l’étranger en 1960, après la sortie de Plein soleil.

6En 1984, une brève du Film Français(n°1998) annonçait le tournage du Secret des Dieuxpour 1985 ; trois ans plus tard, le réalisateur espérait encore pouvoir faire ce film, cette fois-ci en coproduction impliquant quatre pays dont le Japon (cf. France-Soir, 23/8/1988).

7Clément est le premier élu de la section réservée au cinéma, qu’on venait de créer. Avant lui, René Clair était devenu membre de l’Académie française, tandis que Carné, Bergman et Fellini s’étaient vu attribuer le statut de « membres libres » de l’Académie des Beaux-Arts.

8Cf. The New York Timesdu 9/1/1987.